figurant des divinités auxquelles nous ne sommes plus si nombreux à croire, des sujets dont l’enseignement dans les écoles d’art a décliné au cours du dernier siècle, ou des personnalités dont l’autorité s’avère aujourd’hui largement caduque puisse nous paraître sinon violente, du moins irrévérencieuse, ne peut qu’interroger. Est-ce
parce qu’elle interrompt leur reproductibilité (ou, a minima, son exactitude et en conséquence sa potentialité documentaire), à laquelle ces tirages ne sont eux-mêmes guère nécessaires ? La permanence del’œuvre relève-t-elle de son intégrité physique ou de sa pertinence symbolique ? À quoi doit-elle son inviolabilité, quand bien même celle-ci n’aurait plus pour justification préliminaire la nécessité de préserver ce qui est exclusif, irremplaçable, et dont la destruction est irréversible, incorrigible ? In fine, à quoi peut donc tenir ce que valent l’œuvre, l’objet d’art ?
S’agissant de la légitimité de l’œuvre, l’on sait depuis la mise en évidence par Bourdieu du rôle des « instances de légitimation » que cette dernière est institutionnelle, et dès lors éminemment politique : s’y croisent nécessairement des enjeux d’autorité et de pouvoir, de hiérarchie et d’influence. Le moulage et les possibilités, illimitées mais officiellement ratifiées, donc contrôlées par une autorité publique (pour ce qui est de la Rmn-GP, un établissement public à caractère industriel et commercial sous tutelle du ministère de la Culture français, dépositaire d’un savoir-faire défendu par l’État dès l’Ancien Régime), de reproduction qu’il offre trouvent d’autant plus leur place dans ce contexte que la «légitimation » bourdieusienne est de surcroît – et littéralement – celle de la « reproduction » : reproduction d’un positionnement dans l’ordre social, reproduction d’un socle culturel, reproduction d’une domination.
Telle interaction entre le champ social et celui de la création (artistique comme artisanale) incite, s’agissant des Black Plasters, à en explorer les implications variées, bien au-delà des seuls questionnements plastiques qu’ils soulèvent. Relevant initialement d’une forme de modèle artistique par ses propriétés académiques, le moulage finit par se faire le changeant reflet d’un modèle politique aux multiples facettes, entre démonstration de puissance revendiquée et prémices d’une démocratisation culturelle balbutiante, sans jamais véritablement favoriser l’une ou l’autre. C’est dans cette dimension réflexive que Raphaël Denis reprend le moulage et son passif historique. Pas seulement en tant que méditation sur le double ou le reflet, mais plutôt sur ce dont le moulage est le reflet, au-delà de sa nature et de son usage originels. Reflet de la versatilité du statut de l’objet/œuvre d’art ; reflet de la relativité, dans le temps et l’espace, de sa valeur ; reflet de toute l’extrémité potentielle du geste de l’artiste ; reflet du caractère problématique de la véridicité du travail artistique : sur quoi repose la différence entre l’antique Victoire de Samothrace et sa parfaite jumelle de l’ère post-industrielle ?
Nicolas Valains
Avril 2022