Dans la collection d’un peintre à ses heures
Michel Georges-Michel est le nom de plume de Michel Georges Dreyfus (1883-1985), auteur, journaliste et peintre à ses heures (le Musée d’art moderne de Paris conserve certains de ses tableaux). Fondateur du prix de Rome pour les poètes, ce chroniqueur de l’école de Paris est proche des artistes de l’entre-deux-guerres. En 1929, il dédie aux « Montparnos », ainsi qu’il baptise les créateurs de Montparnasse, un livre du même nom, dont l’un des protagonistes n’est autre que… Modigliani. Parmi les œuvres volées par les Allemands à son domicile, rue Clément-Marot dans le 8e, se trouvent son portrait par Picasso ainsi que par Matisse, mais aussi un grand Chirico, un Dufy, deux Kees Van Dongen… Mais curieusement, dans la liste « approximative », selon ses propres termes, qu’il adresse en 1945 aux autorités de la Commission de récupération artistique, Michel Georges-Michel, de retour des États-Unis, ne réclame pas Tête de femme. Comment se fait-il, dans ce cas, que le tableau soit aujourd’hui restitué à ses ayants droit ? « Il est très courant que les victimes ne fournissent pas une liste intégrale des biens qui leur ont été volés, surtout quand tout ou l’essentiel de leur appartement a été vidé, ce qui est le cas ici, affirme David Zivie, responsable de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 au ministère de la Culture. D’autre part, le tableau est inventorié et photographié par le service allemand de spoliation ERR
Sur la base de données ERR Project, créée et dirigée par l’historien américain Marc Masurovsky, ce tableau attribué à Modigliani est indiqué comme relevant de la collection de Michel Georges-Michel, mais sa légende mentionne aussi le nom d’une certaine Madame Castel, assorti d’un point d’interrogation. On peut supposer qu’il s’agit de Jeanne Castel (1888-1969), galeriste à Paris dès les années 1930. Celle-ci arrive de l’Aveyron avec Juliette Lacaze, qui va épouser Paul Guillaume, marchand d’art parisien incontournable auprès duquel Jeanne Castel officie d’abord comme secrétaire. On sait, d’après la correspondance de Michel Georges-Michel, que des liens étroits unissent ce dernier à Paul Guillaume, à son épouse (qui prendra par la suite le prénom de Domenica), et donc également à Jeanne Castel. « Cette question a bien sûr été étudiée, assure cependant David Zivie. Aujourd’hui, et depuis quelque temps, la fiche ERR Project ne fait plus apparaître le nom de Mme Castel. »
Une attribution peu claire
Admettons que le tableau ait appartenu à Michel Georges-Michel. Se pourrait-il que ce portrait féminin typique du style de Modigliani soit un exercice d’admiration « à la manière de » ? Le Musée Sprengel, pour sa part, ne tranche pas. « L’attribution de l’œuvre n’est pas claire, admet toutefois Reinhard Spieler, le directeur du musée. Elle a été acquise par la Ville de Hanovre en 1949 comme étant de Modigliani. Cependant, nous n’avons aucune connaissance de sa provenance. Elle n’est pas incluse dans le premier catalogue raisonné publié en 1929. Et elle n’était pas non plus incluse dans la deuxième édition du catalogue raisonné, en 1956. Cela peut étonner et soulever de sérieuses questions, car l’œuvre a été mise en avant comme un Modigliani à la Documenta de Cassel de 1955. Les auteurs du catalogue raisonné auraient dû la remarquer, ils ne l’ont pourtant pas incluse. Dans les années 1960, des restaurateurs italiens ont remis en question l’attribution de Modigliani pour cette œuvre et l’ont qualifiée de faux. Au Musée Sprengel, on a toujours cru que l’œuvre n’était pas authentique et elle n’a été montrée qu’une seule fois dans une exposition intitulée “Fake News”, parmi des œuvres non authentiques de notre collection. D’autre part, nous devons admettre qu’il n’y a aucune preuve d’un faux ; l’argumentation était basée “seulement” sur l’analyse de style. »
Pour l’heure, cette Tête de femme devrait être exposée quelque temps au Musée Sprengel face à une installation de Raphaël Denis. En attendant de revenir en France pour y vivre de nouvelles aventures, dont les enjeux financiers ne sont pas minces.
Anne-Cécile SANCHEZ
Le Journal des Arts
21-02-2024