C’est donc précisément ce qui nous reste, pour réaiguiller les termes de Rose Valland, ou plutôt ce qui nous échappe de l’épisode du « train d’Aulnay » que Raphaël Denis met en scène dans Forschungen. Protéiforme, cette exposition réactive un vocabulaire auquel l’artiste nous a familiarisés. Celui-ci comprend la transcription méticuleuse d’archives (dans ce cas, l’inventaire des œuvres établi au moment de leur récupération), ou encore un lot de caisses de transport fabriquées à échelle réduite, couleur noir charbon. Ensemble, ces éléments reconstituent l’histoire dans toutes ses dimensions, croisant les destinées matérielles et humaines.
Aux côtés du contenu des wagons de fret fictivement recomposé, le présentoir et les rangées de cartes postales de La Loi normale des erreurs : Cartels constituent une manière détournée pour l’artiste de réifier les images. Objets de l’intime, du transit et de la vacance, ces cartes figurent toutes à leur verso des tableaux spoliés par les nazis, restitués après la Libération, et depuis présentés sur les cimaises de divers musées du monde. Parmi elles se trouvent documentées plusieurs dizaines d’objets embarqués à l’été 1944 à bord du « train d’Aulnay ». En flanquant leur face noble des numéros d’inventaire ayant été temporairement attribués aux œuvres et qui, souvent, portent les traces patronymiques de leur propriétaire, Raphaël Denis trouble notre perception de la valeur esthétique : le dispositif incite à repenser ce qui, au musée, mérite exposition.
Victor Claass
Coordinateur scientifique à l’Institut national
d’histoire de l’art
2022